« Quand mon quartier a brûlé, j’ai ri comme un idiot. » Devant l’horreur, plutôt que de pleurer, Jonas Dorléon choisit de rire. Rire et marcher.
Prof d’histoire et de géographie à Carrefour-Feuilles, un quartier densément peuplé de Port-au-Prince, Jonas est contraint de quitter sa maison. Dans les rues, des coups de feu, des flammes le somment de partir sans regarder derrière. Il n’emporte presque rien : son diplôme, un cahier de poèmes, une photo de sa mère et un slip propre. Sa vie entière dans un sac de plastique.
Jonas marche, marche, mais il n’est pas encore « un migrant » : il passe tant bien que mal du côté dominicain de la frontière, dans l’antichambre d’Haïti, là où il est encore permis d’espérer rentrer chez soi un jour. Il se dit qu’il n’a qu’à y attendre que les choses se calment. Sauf qu’elles ne se calment pas et il tourne en rond. Il faut partir, encore, toujours. Il atterrit au Brésil, arpente le Pérou, s’embarque dans un radeau de fortune pour gagner l’Équateur, traverse la jungle du Darién, le Panama, le Costa Rica, le Honduras, le Guatemala. Il enfile les kilomètres en sol mexicain, serrant toujours son sac de plastique contre lui à bord d’un autobus surchauffé, puis marchant avec d’autres migrants qui, tout autour, tombent les uns après les autres, jusqu’à atteindre la frontière sud des États-Unis. Là, ce sont les agents de l’ICE de Trump qui l’attendent, et cette infâme application, CBP One, qui doit lui communiquer la date de son entrevue avec les agents d’immigration. Les mois d’attente sont infernaux. Quand il passe enfin, Jonas n’a plus qu’un objectif : quitter ce pays qui n’a rien de « great again » et gagner le Canada – Montréal – par le chemin Roxham, cette voie salutaire dont il a tant entendu parler.
Avec une plume foisonnante et poétique, Thélyson Orélien fait jaillir la beauté dans les zones les plus sombres de l’expérience humaine. Il nous parle de la langue de l’exil, cette langue qui s’apprend « sans grammaire, sans dictionnaire, juste avec les os et la peau ». Et surtout, à travers la voix de Jonas Dorléon, il révèle une Amérique terrible et violente sur laquelle notre regard doit s’attarder.